Le leadership serviteur n’est plus une option

Florent Lothon

Résumé en moins de 100 mots

Face à la complexité grandissante de nos projets, au besoin d'innovation par recours à l'intelligence collective, à celui de faire naître un véritable esprit d'équipe pour surmonter plus vite les obstacles rencontrés, le rôle de chef omniscient et omniprésent qui commande, contrôle et décide seul, atteint ses limites. Par ailleurs, les nouvelles générations semblent éprouver plus que jamais le besoin de savoir pourquoi elles travaillent, de sentir que leur avis compte. Autant de facteurs qui rendent le leaderhip serviteur ("servant leadership") quasi incontournable.

Introduction

L'un des ingrédients clef de l'approche Agile est son mode de leadership. Le leader de l'équipe n'est pas la personne qui ordonne, contrôle et décide à la place de l'équipe. Au contraire, le leader Agile donne davantage de pouvoir à son équipe, met tout en oeuvre pour lever les obstacles qu'elle rencontre et la protège des perturbations extérieures. On parle donc de leadership serviteur. Dans cet article nous allons voir pourquoi ce mode de leadership n'est plus une option aujourd'hui.

Face à la complexité

Nos projets deviennent de plus en plus complexes tant du point de vue technique que du point de vue des besoins fonctionnels à couvrir. De nombreuses décisions difficiles et pourtant structurantes doivent être prises avant et pendant le projet. Le leader n'est plus en mesure d'être omniscient et omniprésent. Il doit donc déléguer une partie de son pouvoir à son équipe afin de rester concentré sur l'essentiel, comme lever les obstacles rencontrés par l'équipe et protéger cette dernière des perturbations extérieures afin de garantir qu'elle soit pleinement productive. Il doit également s'assurer que la méthodologie adoptée est correctement appliquée aussi bien côté technique que côté métier. Au besoin, il doit coacher les personnes qui nécessitent un accompagnement en enseignant par l'exemple.

Cette impuissance du leader seul face à la complexité est également le cas de nos figures politiques. Incapables de prendre les bonnes décisions seuls. Les défis environnementaux, économiques et sociaux nécessitent aujourd'hui des compétences qui dépassent largement celles de notre organe politique. Tout comme le leader Agile, il est nécessaire de donner davantage de pouvoir et d'autonomie à ceux qui sont au front, connaissent très précisément la situation et savent le plus souvent quoi faire. Cela nécessite donc de faire confiance.

"Si vous dites aux gens où aller, mais pas comment ils doivent y aller, vous serez impressionné par les résultats" - Général Georges Patton.

Intelligence collective et diversité

Donner à chaque membre de l'équipe le pouvoir d'exprimer son point de vue et influencer ainsi les décisions à prendre fait l'objet d'un excellent levier pour parvenir à la meilleure solution possible. La diversité de culture, d'expérience, de génération apporte une différence de point de vue permettant de voir les problèmes ou enjeux sous différents angles. La diversité est donc une richesse, un atout, elle est source d'innovation.

Esprit d'équipe

L'esprit d'équipe est fondamental pour surmonter plus vite et plus efficacement les difficultés. Là encore la complexité met de nombreux obstacles sur le chemin à parcourir. Cet esprit d'équipe est également nécessaire pour intégrer les nouvelles recrues et les accompagner dans leur montée en compétence et appropriation des principes et pratiques suivis par l'équipe. Dans le cadre d'un projet Agile, cet état d'esprit se cultive notamment à travers les mêlées quotidiennes, les rétrospectives et les travaux en binôme.

C'est pour cette raison que le recours au primes individuelles ou aux évaluations agrémentées d'une note (comme à l'école) sont à éviter. Ces pratiques ne font que fragiliser l'esprit d'équipe et par conséquent la réussite du projet. S'ouvrent alors d'autres possibilités d'évaluation telles que les évaluations par les pairs par exemple. Nous sommes invités à revoir les critères d'augmentation de grade et salaire souvent basés sur la note associée à la "performance" de l'individu. Pourquoi ne pas se concentrer sur l'avis des pairs et le degré d'expertise atteint (pour les profils "techniques") ou de responsabilités acquises (pour les profils de "management"). Peut être devrions nous également revoir le terme "ressources humaines". C'est frappant de constater à quel point un terme comportant le mot "humaines" peut véhiculer si peu d'humanité.

Enfin, l'esprit d'équipe annihile l'esprit de compétition, la rivalité entre les membres de l'équipe et augmente donc le plaisir au travail. Au contraire, la compétition limite l'innovation ("je garde pour moi ce qui me permet d'être meilleur que les autres") et la productivité de l'équipe ("je n'aide pas mon voisin qui rencontre pourtant le même problème que j'ai surmonté hier").

Plaisir au travail

La notion de plaisir au travail devient fondamentale. 8 heures ou plus par jour, 5 jours par semaine, sur plus de quarante ans de notre vie consacrés au travail (et aux transports en commun pour certains). Laissant si peu de place pour la vie personnelle. La nouvelle génération l'a compris et n'a pas l'intention de se sacrifier autant que les générations précédentes (même si la menace du chômage nous pousse à nous plier aux conditions de l'entreprise). Le plaisir au travail est donc capital pour soi, mais aussi pour l'entreprise qui peut perdre beaucoup en multipliant les transferts de compétences, les efforts de recrutement, les pertes de savoir faire, les arrêts maladie, le support technique sur des applications de mauvaise qualité car développées par des équipes démotivées ou sous pression, etc. Ce plaisir s'obtient généralement par l'épanouissement, qui lui même découle de l'expression de sa créativité, du développement personnel et de la participation aux décisions. Pour d'autres, une simple "bonne ambiance" suffit. Ce plaisir généré se retrouve dans le produit que l'organisation réalise ou dans le service qu'elle offre.

A l'occasion d'un recrutement, un élève terminant ses études m'a confié ceci : "Je ne cherche pas spécialement un emploi avec un super salaire et plein de responsabilités, ni même une promesse de carrière dans ce sens. Ce qui compte le plus pour moi, c'est de me sentir bien dans mon travail, avec du contact humain".

Leader serviteur Vs Leader carpette

Il ne s'agit pas de basculer dans le chaos au sein duquel chacun y va de son point de vue et rien n'avance. Pour favoriser la convergence, l'équipe peut définir des valeurs fondamentales communes et sa mission. Si ces valeurs demeurent communes, la divergence de point de vue est alors une richesse permettant de faire de meilleurs choix au lieu faire tourner l'équipe en rond.

Le leader serviteur offre un cadre, des règles du jeu au sein duquel les membres de l'équipe (ou de la tribu à plus grande échelle) peuvent exprimer leur point de vue et participer aux décisions. La rétrospective est bien sûr un lieu d'expression et de décision tout comme la mêlée. Les décisions se prennent par consensus (tout le monde dit oui, ce qui est parfois difficile) ou par consentement (personne ne dit non). Lorsque le leader souhaite orienter l'équipe vers une autre direction, c'est à lui de convaincre comme les autres membres de l'équipe. Mais un leader qui applique les principes évoqués bénéficie d'un respect durable, la confiance est réciproque et l'équipe (ou tribu) se montre réceptive aux orientations proposées. C'est cette même confiance qui permet à un membre de l'équipe de révéler une difficulté qu'il rencontre plutôt que de la masquer (par peur des représailles), ce qui fait du leader serviteur un leader averti.

Leviers de motivation

En complément des principes évoqués plus haut, rappelons quelques leviers de motivation :

  • Donner du sens : Que nous l'exprimions ou pas, nous avons tous (ou presque) la même question en tête lorsque nous exécutons une tâche. D'autant plus si la demande associée vient de l'extérieur. Cette question est bien sûr "Pourquoi ?". "Pourquoi dois je réaliser cette tâche ?". Plus la réponse à cette question sera claire et en phase avec le porteur de la tâche, plus l'investissement de ce dernier et le résultat atteint seront grands.
  • Objectifs concrets, mesurables et atteignables à courts et longs termes : Une équipe a besoin d'un challenge positif auquel se mesurer. Celui ci s'obtient en fixant un ou des objectifs à long terme (donnant une vision, une perspective) mais également à court ou moyen terme permettant de se nourrir de petites victoires concrètes. Ces objectifs doivent être mesurables afin de rendre leur atteinte objective et non pas dépendante de l'opinion du leader ou du commanditaire.
  • Célébrer les petites victoires autant que les grandes : Les petites victoires sont aussi importantes que les grandes car elles nourrissent les efforts de l'équipe à long terme et contribuent à cultiver l'esprit d'équipe.
  • Rythme de travail soutenable : Participer à un projet est davantage comparable à une course de fond (type marathon) qu'à une épreuve du 100 m (même si le terme "Sprint" issu de Scrum est trompeur). La fatigue, ou pire encore, les sacrifices réalisés sur la qualité, peuvent sérieusement entamer la motivation d'une équipe. Nous devons donc promouvoir un rythme de travail soutenable en encourageant les membres de l'équipe à partir à l'heure le soir, à manger équilibré, à entretenir un sommeil de qualité. A cultiver une vie personnelle suffisamment riche pour ne plus penser au boulot (meilleure façon de porter un regard neuf sur son travail une fois de retour au boulot), à exercer une activité sportive. A rester concentré sur son travail de retour au boulot en désactivant les alertes email, tchat et sonneries de téléphone (en planifiant des pauses pour consulter ses messages et y répondre).
  • Choisir ses mots : En tant que leader ou manager, le choix des mots peut se révéler important. Chez les grandes entreprises, la tendance consiste à parler d'Industrialisation, d'Usines de développement, de Centres de services, etc. Les images véhiculées par ces termes ou d'autres peuvent se révéler néfastes auprès des équipes inquiètes de se retrouver cloisonnées, spécialisées et robotisées, que la menace soit réelle ou non. Encore une fois, le terme "Ressources Humaines" est également concerné, bien qu'universellement répandu.

Article sur le même thème : "Introduction au leadership tribal".

A propos de l'auteur

Florent Lothon

Expert de terrain en gestion de projet et management d'équipe. Florent fait partie des pionniers dans l'usage des méthodes agiles sur des projets à forts enjeux en France dès 2007. Co-auteur du livre "Devenir une Entreprise Agile".

  • {"email":"Email address invalid","url":"Website address invalid","required":"Required field missing"}

    Vous voulez d'autres contenus de qualité ?

    Découvrez ces articles

    >